mercredi 23 avril 2025

12 heures de sommeil


J'arrive avec Maïa devant l'endroit cool qui est une boutique ou un atelier galerie je sais pas quoi, elle vient de garer sa voiture moi je suis venue à vélo et purée mais je plane, j'ai mon antivol dans les mains, ça veut dire que j'ai laissé mon vélo quelque part sans l'accrocher, vraiment je suis à la masse, c'est ça de discuter. Bon je reviens, je sais pas où j'ai posé mon vélo, je le retrouve, je l'accroche et j'arrive, il doit être à côté là, près de ce grand restaurant. Je m'approche du parking sous les arbres et les buissons, au moment où je commence à regarder, toutes les lumières s'éteignent. Exactement ce que je craignais. Je plane tellement aujourd'hui.
Je vois plus rien. J'entre dans le restaurant, un peu classe et chaleureux, je vais demander à quelqu'un de me prêter son téléphone pour faire lampe, moi j'ai pas de smartphone. Je tombe sur le chef qui en fait est un acteur un peu connu, un grand type souriant, un peu vieux mais pas trop, entre Jean-Luc Bideau et Donald Sutherland, un grand type qui a l'air sympa.
Je ne suis pas intimidée, je me dis ah tiens un acteur qui tient un restaurant. Mi-dubitative mi-curieuse. Il fait son modeste il dit que c'est juste passager, que c'est pas son métier, que ça lui fait plaisir. Je ne sais plus s'il me dit ça à moi ou aux clients qui sont là. Quand je lui demande s'il peut me prêter son smartphone pour faire lampe pour retrouver mon vélo je vois des étincelles de joie et d'amour s'allumer dans ses yeux, ou alors c'est quand je lui touche le bras (sa peau est très douce je trouve) ?
Ah désolée comme je plane je ne sais plus dans quel ordre sont les choses. Enfin bref ici il y a un grand courant de sympathie entre Donald et moi, il a l'air vraiment très heureux de m'avoir rencontrée. Je le trouve un tout petit peu vieux mais il me plaît bien.
Donc dans ce restaurant les yeux et les bijoux brillent, les verres tintent, les nappes sont blanches, l'éclairage est très beau, chaleureux et tamisé en même temps. Je me retrouve dans une espèce de salon ouvert avec des banquettes en arcs de cercle, à ma droite je remarque deux très belles femmes, elles sont chinoises ou coréennes, elles ressemblent à Gong Li. Elles ne parlent pas, elles attendent, sérieuses, elles sont là pour un travail. À moi aussi on propose le travail. Mais on ne me dit pas que c'est un travail. Je ne sais plus trop ce qu'on me dit, ça consisterait à donner la becquée aux hommes d'affaire asiatiques qui sont là-bas. Je finis par comprendre qu'on devrait donner à manger du caviar à ces types avec notre propre bouche. Et que nous on aurait du caviar de moins bonne qualité.
Quand je capte ce détail je dis "ah ouais d'accord, à nous les prolos on donne du mauvais caviar."
En même temps je me dis que c'est peut-être pas si mal du mauvais caviar, que peut-être c'est quand même bon. Et aussi, si c'est ce caviar qu'on doit mettre dans notre bouche pour nourrir les riches hommes asiatiques, alors eux aussi ils vont manger du mauvais caviar, peut-être j'ai pas bien pigé un truc.
Ça fait sourire Donald quand je dis la phrase d'avant, celle entre guillemets. Alors je le regarde bien droit dans les yeux et je lui dis "tu sais, toi aussi t'es un prolo" ou peut-être je l'ai vouvoyé "vous savez, vous aussi vous êtes un prolo" je sais plus.
C'est là vraiment que les flammes de la joie et de l'amour se sont embrasées dans ses yeux, ça je m'en souviens, avec le bruit du feu de gazinière qui s'allume.
Je ne sais plus si j'ai accepté le job mais là j'avais très envie d'embrasser Donald alors je me lève et on s'embrasse, mais juste une seconde ou deux. Je vois que ça le rend complètement fou.

jeudi 10 avril 2025

Cette nuit

Une partie du cerveau dit laisse tomber c'est un rêve il va rien s'écrire du tout et l'autre qui dit beu on sait pas peut-être ça va être super, alors je laisse le truc s'écrire en direct dans ma tête, comme on déroulerait la bande magnétique d'une cassette en tirant dessus un peu délicatement mais sans le boîtier, avec un rythme de quand on découvre une musique en tournant la mini manivelle avec les picots et les lames en métal ça joue quoi joyeux anniversaire ah non autre chose on essaie de faire sortir les notes avec un rythme à peu près régulier, ou rouler sur un vélo quand on sait pas alors la voix - c'est une voix d'homme à l'ancienne style les informations des années quarante au cinéma, joyeuse et sautillante mais plus doux, ou comme quand Abraham raconte des trucs en faisant des voix marrantes et qu'il a l'air d'avoir envie de dormir - dit :

aux deux heures de rien s'ajoutent vingt cinq minutes de ???.
On devine, derrière ces deux heures de merveilleux, un être profond et drôle en manières.

Ah oui j'ai pas dit c'est une critique de film.
Je trouve ça super je me dis han mais en fait ça parle de moi ?
Je fais l'effort de me réveiller pour remonter à la surface les phrases entendues, je perds un bout de la première mais la deuxième est intacte, c'est la vraie, le joyau du fond des mers.
La semaine dernière un collègue projectionniste m'a dit "mais et toi par exemple, tu trouves que t'écris bien ?"
Gheu beu ghhh

mardi 8 avril 2025

Lundi

Je pédale je suis à la bourre, je croise un vélo cargo avec deux petites filles blondes à l'avant, la mère pédale elle a un casque de vélo elle a l'air sportif elle fonce on se croise sur le pont je l'entends prononcer très distinctement "ON SERA UNIS, SOUDÉS, SOLIDAIRES" assez fort pour que ses enfants puissent l'entendre dans la circulation.
Je ne sais pas si elle est en train d'énoncer quelque chose qui va leur arriver, de réciter un discours qu'elle prépare, de faire apprendre un discours à ses enfants pour un devoir d'histoire mais c'est chaud elles ont l'air d'avoir 5 ans. J'aurais dû faire demi-tour et les suivre.
Je continue en sens inverse, je suis en retard alors je me répète la phrase en boucle sur mon vélo pour pas l'oublier et bien la noter sur un bout de papier quand je serai arrivée on sera unis soudés solidaires je la scande dans ma tête, je la chuchote, je fais comme la dame, si ça se trouve c'est ça qu'elle faisait, répéter une phrase entendue pour l'écrire à la maison mais comme elle est prof de sport elle est obligée de parler fort pour la retenir, moi ça va je peux chuchoter jusqu'au bout de papier je passe pas encore pour une folle, faudrait vraiment être près de ma bouche pour avoir envie de retenir ce que je raconte, par exemple ma capuche, en niveau de proche, ou un animal qui se poserait sur mon épaule, pendant que je fais du vélo en plein centre ville à Strasbourg. Un animal très doux et compréhensif, observateur, intelligent, il mémoriserait tout ce que je raconte, ce qui me passe par la tête, et quand je commencerais à débloquer il poserait sa petite main fraîche sur ma joue, ça me calmerait instantanément, ça m'apaiserait quand ça va pas. Je serais bien contente qu'il soit là quand je pédale, dans ma capuche, le mini singe calme. Il saurait.